Energie : « En Afrique, la priorité est d’investir dans des projets pour les 600 millions d’habitants privés d’électricité »
Si la priorité mondiale est de développer une énergie verte, celle de l’Afrique est d’accéder à l’énergie tout court, observe Marie de Vergès, journaliste au « Monde Afrique », dans sa chronique.
Au Burkina Faso, une personne utilise en moyenne autant d’électricité en une année qu’un Français pour faire tourner son four à micro-ondes. Dans toute l’Afrique subsaharienne (à l’exception de l’Afrique du Sud), la consommation annuelle par tête, à 185 kilowattheures, est 69 fois moins importante qu’aux Etats-Unis et 35 fois moins qu’en Europe. A Charm El-Cheikh (Egypte), les hôtes de la COP27 réfléchissent au moyen de produire une énergie moins polluante. Mais, en Afrique, il s’agit d’abord de produire plus, tout court.
Selon la Banque mondiale, la moitié des habitants de la région n’a toujours pas accès à l’électricité. L’autre moitié doit le plus souvent composer avec des prix élevés et des coupures fréquentes. Cette carence énergétique est un résultat du mal-développement tout autant qu’elle le nourrit. Il y a donc urgence à changer la donne si l’on veut en finir avec l’extrême pauvreté et atteindre l’objectif fixé par l’ONU d’une énergie propre et abordable pour tous d’ici à 2030.
Pour y parvenir, il faudrait doubler les capacités de production et les investissements au cours de la prochaine décennie, en mettant l’accent sur les renouvelables, préconisait en juin l’Agence internationale de l’énergie. Un chemin a priori logique dans le contexte du changement climatique et pour un continent qui dispose de ressources naturelles abondantes, en particulier dans le solaire et la géothermie. Manifestement, ce potentiel ne suffit pas. La région n’abrite ainsi que 1 % de la capacité solaire photovoltaïque installée dans le monde.
Selon un rapport du cabinet d’expertise Bloomberg New Energy Finance, publié en marge de la COP27, les investissements dans les énergies renouvelables en Afrique sont même tombés en 2021 à leur niveau le plus bas depuis dix ans. A 2,6 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros), ils ne représentent que 0,6 % des montants investis à travers la planète dans les énergies propres. Pis, ils ont chuté de 35 % par rapport à 2020, à contre-courant d’une tendance à la hausse (+ 9 %) dans le reste du monde.
Tâche ardue
Durant toute la dernière décennie, l’Afrique et ses projets énergétiques verts ont attiré les capitaux de façon « très irrégulière », indique le rapport, et quatre pays seulement (le Maroc, l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Egypte) en ont capté l’essentiel. Ce mauvais bilan tient à des barrières bien identifiées : cadre réglementaire parfois inconsistant, déploiement défaillant des réseaux électriques, manque d’implication des investisseurs locaux…
Cette situation n’est pas nécessairement figée. La région peut s’inspirer de l’exemple de pays comme le Brésil ou le Vietnam, où des politiques bien calibrées ont permis de réaliser des progrès rapides. La tâche s’annonce malgré tout ardue. Alors que les finances publiques des Etats africains ont été durement éprouvées par les dernières crises, les investisseurs internationaux ne risquent pas de se départir de sitôt de leur frilosité.
En attendant, les dirigeants africains revendiquent leur droit d’exploiter leurs énergies fossiles, le gaz en particulier, dont le continent est richement doté. Le conflit russo-ukrainien, en bouleversant les marchés de l’énergie, leur donne des arguments. Les Européens lorgnent sur ces vastes réserves pour sécuriser leurs approvisionnements. Mais le risque est qu’une telle ruée soit avant tout destinée aux pays riches, transformant l’Afrique en « station-service de l’Europe », comme l’a dénoncé à Charm El-Cheikh le militant kenyan du climat Mohamed Adow, qui appelle à sauter l’étape des fossiles pour imposer le continent comme un « leader vert ».
Gaz ou renouvelables, la priorité est surtout d’investir capitaux et technologies dans des projets mis au service des 600 millions d’Africains aujourd’hui privés d’électricité. Car les plus pauvres sont aussi les plus vulnérables au dérèglement du climat. Pour pouvoir s’adapter, il leur faut d’abord disposer des outils leur permettant de lutter contre la précarité. L’accès à l’énergie est le premier.
Marie de Vergès