En Mauritanie, l’ex-président Aziz devant les juges pour justifier sa fortune
Le procès de l’ancien chef de l’Etat, lâché par son successeur Ghazouani, s’est ouvert mercredi à Nouakchott sous haute surveillance. Un moment de justice exceptionnel en Afrique et dans le monde arabe.
A l’appel de son nom, l’homme en boubou blanc s’est levé et a fait un signe de la main depuis le box des accusés aux allures de cage métallique, plongé dans la pénombre. L’ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, 66 ans, port militaire, moustache fine et crâne dégarni, est jugé à Nouakchott avec neuf autres accusés pour «enrichissement illicite», «abus de fonction», «trafic d’influence» et «blanchiment». Son procès s’est ouvert mercredi. Un moment de justice exceptionnel en Afrique et dans le monde arabe, où les anciens chefs d’Etat ont très rarement des comptes à rendre sur la fortune personnelle acquise au cours de leurs mandats. Encore moins quand leurs successeurs sont aussi leurs dauphins, comme dans le cas mauritanien.
Jugé à Nouakchott en Mauritanie depuis mercredi 26 janvier, l'ancien président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz est poursuivi pour enrichissement illicite.
Soupçonné d'avoir abusé de son pouvoir pour amasser une fortune immense, celui qui a dirigé la Mauritanie de 2008 à 2019 s'est levé mercredi à l'appel de son nom, puis s'est rassis derrière les grilles au premier rang des dix accusés présents.
Anciens président, Premiers ministres, ministres et hommes d'affaires, ils répondent pour une durée inconnue d'"enrichissement illicite", d'"abus de fonctions", de "trafic d'influence" ou de "blanchiment".
Mohamed Ould Abdel Aziz, 66 ans, nie les faits et crie au complot destiné à l'écarter de la politique.
En boubou blanc, un masque chirurgical dissimulant une partie de son chef dégarni et sa fine moustache, Mohamed Ould Abdel Aziz a suivi en silence les efforts interminables du président pour faire cesser la confusion et trouver un espace à la centaine d'avocats présents dans l'immense prétoire moderne aux airs de bunker.
Ces atermoiements n'enlèvent rien à l'extraordinaire du moment, y compris au-delà de ce pays charnière entre le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, secoué naguère par les coups d'État et les agissements jihadistes, mais revenu à la stabilité sous Mohamed Ould Abdel Aziz quand le trouble gagnait dans la région.
"C'est une première dans l'histoire de la Mauritanie, et peut-être même dans celle du monde arabe, qu'un ancien président s'explique sur son enrichissement", a déclaré à l'AFP l'un des nombreux avocats représentant l'État, Me Brahim Ebetty.
Mohamed Ould Abdel Aziz est l'un des rares ex-chefs d'État à devoir rendre des comptes sur la façon dont il s'est enrichi au pouvoir. Ses pairs jugés par les justices nationale ou internationale le sont surtout pour des crimes de sang.
Dénégations
"Tous les gens présents dans le box ont utilisé le nom de l'État, la fonction de l'État, particulièrement Mohamed Ould Abdel Aziz [pour s'enrichir]", a déclaré MeEbetty.
Plusieurs Mauritaniens interrogés par l'AFP espèrent que le procès aura valeur d'exemple dans un pays classé 140e sur 180 par l'organisation anticorruption Transparency International.
Peut-être unique, le moment risque de n'être jamais documenté par l'image. La justice a interdit tous les appareils de prise de vue dans la salle, dont les téléphones portables. Filtrant fastidieusement les entrées, elle a outré les avocats en les faisant soumettre à la fouille.
Les autorités ont fait ceinturer l'enceinte par des centaines de policiers, sans que n'apparaisse clairement la menace à prévenir, protestations des supporteurs de Mohamed Ould Abdel Aziz ou autre.
Des dizaines de personnes se sont rassemblées devant le Palais avant le procès, les uns pour soutenir Mohamed Ould Abdel Aziz, d'autres pour réclamer sur des pancartes qu'il "[rende] l'argent".
La capacité de nuisance de Mohamed Ould Abdel Aziz, connu pour être pugnace, calculateur et imprévisible, est un sujet de spéculations, même s'il est volontiers présenté comme politiquement isolé désormais.
Il n'a cessé de nier les faits depuis que l'étau a commencé à se resserrer sur lui en 2019. C'était quelques mois après qu'il eut cédé la place à l'issue d'élections à l'un de ses plus fidèles compagnons, son ancien chef d'état-major Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani. La première transition non imposée par la force dans un pays abonné aux coups d'État depuis l'indépendance.
"Arbitraire"
Mohamed Ould Abdel Aziz a lui-même été porté au pouvoir par un putsch en 2008 puis élu président en 2009 et réélu en 2014.
Ce procès est l'histoire de sa disgrâce et de son amitié ruinée avec celui qu'il avait désigné comme son dauphin, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.
La fille de Mohamed Ould Abdel Aziz, Asma, l'a décrit auprès de l'AFP comme "fatigué". Elle a dit avoir été alertée mardi soir par le cardiologue de l'ancien président parce qu'il avait fait un malaise après son placement en détention.
L'un de ses avocats, Me Antoine Vey, s'est alarmé d'une arrestation "arbitraire" et des conditions augurant que son client n'aurait pas droit à un procès équitable.
"Le dossier a été construit sur un travail qui ressemble juste à du révisionnisme politique", a-t-il déclaré à l'AFP. Il comptait demander le renvoi du procès et préparait la saisine d'instances onusiennes en cas de rejet de cette demande.
Le successeur de Mohamed Ould Abdel Aziz s'est toujours défendu d'ingérence dans le dossier.
Aucune des parties interrogées n'a été en mesure de dire combien de temps durerait le procès.
Avec AFP