Des filles migrantes malienne en Mauritanie : l’énigmatique question des réseaux de trafic et leur protection

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Description

Des dizaines de migrantes maliennes débarquent régulièrement et s’installent légalement à Nouakchott. Originaires de certaines régions du nord Mali d’ethnie bobo pour la plupart, ces maliennes arrivent à travers un réseau bien structuré mais surtout qui semble être protégé.

Elles sont généralement installées dans les domiciles de leurs employeurs, sous contrats de deux ans qu’elles n’ont jamais signés. Leurs familles encaissent l’argent à travers les relais du réseau établis au Mali. Enquête-Reportage.

« Je suis arrivée en Mauritanie depuis le mois de mars 2021. J’ai été recrutée par Mme Eliza qui vit à Bamako. Celle-ci m’a envoyée à Nouakchott auprès de Mme Sophia qui m’a placée dans une famille », raconte la domestique. Ainsi commence le récit d’une mésaventure.

« Je suis sous contrat de deux ans, que je n’ai jamais signé encore moins vu. Mon salaire, parait-il est de trente mille ouguiyas » (ancienne monnaie équivalent à environ 75 euros), poursuit-elle. Fatoumata Coulibaly, 20 ans, puisque c’est d’elle qu’il s’agit ici, est arrivée en compagnie de six (6) autres maliennes dont elle ne connaît plus leurs adresses. Sont-elles encore dans les domiciles de leurs employeurs ou évadées dans la nature ? C’est là toute la question. Ce qui est sûr, confient les responsables de la communauté malienne interrogés sur ce phénomène, « ces filles doivent être à Nouakchott ».

Pour le cas de Fatoumata Coulibaly, jeune malienne originaire de Ségou (Mali), précisément de San, la 18ème région, l’affaire a été portée en justice. Sa déconcertante découverte a été l’œuvre d’un jeune homme à qui elle a raconté son histoire, histoire d’une jeune fille perdue sans repère. Une jeune dame en esclavage. C’est ce dernier qui a saisi, avant de disparaître, l’ONG AMPEF (Association Mauritanienne pour la Promotion de l’Education des Filles) que préside Mme Camara Salimata SY.

Un réseau solide et bien organisé à démanteler à tout prix …

Le réseau qui sert de courroie de transmission des jeunes filles maliennes vers Nouakchott, a vécu depuis des années, à en croire Mr Boubacar Traoré du Haut Conseil des Maliens de l’Extérieur. C’est la raison pour laquelle, Mme Camara Salimata Sy, a soutenu mordicus que « ce qui nous intéresse en tant que ONG, c’est le démantèlement de ce réseau et rien d’autre ». Car, la découverte de Fatoumata Coulibaly n’est que la partie visible de l’iceberg.

Ainsi, depuis le 25 novembre 2021, date de la découverte de la malienne Fatoumata, les choses se sont précipitées pour la famille d’accueil. Le 28 novembre, l’Ong AMPEF informée de l’affaire, a saisi la police qui s’est rendue sur place pour soustraire la victime des mains de ses employeurs. Une compétence prévue par la loi 2020-017 criminalisant les pratiques de traite des personnes. Les dispositions de cette loi indiquent que « toute personne ayant connaissance des actes, des faits, des informations ou des renseignements concernant la commission des infractions de traite des personnes doit saisir les autorités ou les services compétents ».

Cette affaire a été instruite à la police de Tevragh-Zeina 2 où les mis en cause ont été entendus. Mais, selon la présidente de l’AMPEF, « à partir de la police il n’y a pas eu de solution parce qu’il y avait la pression d’en haut pour chercher à nous intimider et à camoufler cette affaire. Il fallait envoyer l’affaire au tribunal qui a tranché en faveur de la victime avec l’aide bien sûr de notre avocat Me Bezeid » a-t-elle souligné.

Selon toujours elle, l’employeur, la famille d’accueil, a payé toutes les mensualités de la victime qui a recouvré tous ses droits, récupéré tous ses documents confisqués et placée dans une autre famille avec la collaboration d’une autre association de droit de l’homme. Un droit de rétablissement et de séjour pour la victime étrangère prévu par la loi 2020-017.

Quant à la dame, Mme Sophia, habituée des faits selon les responsables maliens et reconnue coupable d’actes de traite en complicité avec la famille d’accueil, elle a été placée sous mandat de dépôt. L’AMPEF qui continue de travailler pour la libération des filles victimes de traite, a libéré d’autres personnes dans des cas similaires. « Nous continuons de mener ce travail. » soutient-elle.

« Ce qui nous a emmenés à contacter notre collègue du Mali, Cheikhna Bakhayoko de l’ONG ENDA Mali avec qui, nous souhaitons collaborer pour dénoncer ce réseau » poursuit-elle. Le contact a été fait par téléphone et tout porte à croire qu’il y aura possibilité de conjuguer des efforts dans ce sens. Selon un rapport conjoint de Terre des Hommes (TDH) et l’Association des Femmes Chefs de Famille (AFCF), quelques 900 filles domestiques victimes de violence ont été identifiées en 2015 dans la seule ville de Nouakchott.

Un chiffre largement dépassé aujourd’hui selon les organisations de défense des droits de l’homme et celles travaillant sur la thématique. Une situation inquiétante dans la mesure où même s’il existe un cadre juridique légal encadrant cette main d’œuvre, son application reste être le principal problème, soutiennent les militants des droits de l’homme, notamment la Présidente de l’AMPEF.

Des documents d’identité délivrés sous la complicité des autorités maliennes

Pour faire voyager légalement ces filles domestiques maliennes, les trafiquants ou passeurs du côté malien produisent des documents d’état civil pour personnes majeures aux filles mineures avec la complicité des agents d’Etat civil et ce, pour faciliter le passage aux frontières.

« Notre souci majeur c’est que nous sommes limités ici. Ces filles sont réellement mineures mais détiennent des documents pour personnes majeures. Le plus souvent, elles proviennent des zones de conflits ou de zones de pauvreté extrêmes du Mali. Ce qui fait que les parents sont obligés de laisser leurs enfants à la merci des tenants de ce réseau » confie Mme Camara, visiblement préoccupée par la situation des enfants en mobilité mais aussi déterminée et engagée à contribuer au démantèlement de ce réseau.

Elle a invité ses homologues du Mali, à travailler dans ce sens pour mettre fin à cette situation. Une réflexion qu’elle engage dans la perspective d’accompagner les autorités mauritaniennes à freiner ce genre de trafic ou de traite des personnes.

La question de l’Etat civil se pose avec acuité. Approchée à ce sujet, l’ambassade du Mali à Nouakchott, aussi vraisemblablement que cela puisse paraître, n’a pas donné suite à notre demande pour éclaircir la situation. Et pourtant, elle est de tout temps, interpellée sur le problème des filles domestiques mineures maliennes victimes d’exploitation dans les foyers. Mieux, ces filles prennent le chemin de la ville de Chami, où elles vivent ou travaillent dans des conditions douteuses. Parfois, indiquent nos sources communautaires, elles sont soumises au vieux métier du monde.

L’Association des femmes Maliennes battantes, réservoir et réceptacle

Mme Fatoumata Coulibaly, présidente de l’Association des femmes maliennes battantes, assiste ces dernières années, les filles mineures maliennes victimes de traite et soumises à toutes formes de sévices dans certains foyers en Mauritanie. Arrivée dans ce pays depuis 1988 alors qu’elle n’avait que 16 ans, elle a vécu des situations similaires au point qu’aujourd’hui, elle semble être l’une des personnes la mieux placée pour comprendre et défendre cette cause.

Cette association accueille les filles domestiques victimes de traite mais également héberge et oriente les jeunes filles. Interrogée par le journal « Le 360 » elle a indiqué que ces filles sont victimes « d’abus sexuels, confiscation de papiers d’identité, séquestration sur les lieux de travail, menaces de dénonciation et d’expulsion, refus de paiement du salaire … ». Son organisation offre les services d’accueil, d’hébergement et d’orientation.

C’est le lieu ici, de souligner que son foyer est débordé de jeunes filles mineures pour la plupart alors que ses moyens sont limités. Le soutien de son ambassade est en deçà de ses attentes, soutient-elle. Elle a lancé lors de notre passage, un cri de détresse à l’endroit des âmes sensibles ou toute association œuvrant dans ce sens, pour lui venir en aide et sauver ces jeunes filles innocentes.

Un voyage pour améliorer les conditions de vie …

Selon une source malienne, « ces filles domestiques se lancent dans ce projet avec la complicité de leurs parents, pour chercher le trousseau de mariage ou tout au moins pour contribuer à l’amélioration des conditions de vie de la famille ». La même source précise que le salaire d’une domestique au Mali varie entre 15 000fcfa et 30 000 fcfa, somme jugée minime pour préparer le trousseau de mariage ou assurer la survie de la famille qui vit dans la précarité.

Au Mali, renseigne une autre source malienne sous anonymat, le mariage des filles mineures est monnaie courante dans la zone du Nord où les populations sont en proie à un conflit armé. Un phénomène culturel ou perception religieuse qui pose des problèmes aux familles.

La problématique du travail des jeunes filles domestiques maliennes reste une question énigmatique qui interpelle les Etats du Mali et de la Mauritanie. Mais aussi les acteurs de la société civile qui travaillent sur cette thématique. Car, malgré les législations mises en place pour encadrer le travail des enfants, le cadre juridique mauritanien pour dissuader les détenteurs de ces réseaux et freiner le phénomène, le problème demeure entier.

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